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David Lynch, le sorcier de l'image
Cinéaste parmi les plus influents de son époque, l'Américain David Lynch, mort à 78 ans, était un sorcier de l'image, qui a envoûté une cohorte d'admirateurs fascinés par l'inquiétante étrangeté de ses films.
Réalisateur de dix longs métrages, tous cultes, sortis entre 1977 et 2006, et d'une série diffusée en 1990 et 2017, le cinéaste à l'allure sobre - chemise boutonnée sous le menton et houpette au-dessus du front - a été nommé aux Oscars pour "Elephant Man" (1980), "Blue Velvet" (1986) et "Mulholland Drive" (2001). Il reçoit un Oscar d'honneur en 2019 pour l'ensemble de sa filmographie.
En France, dès la sortie de "Eraserhead" (1977), son premier long métrage, David Lynch fait l'objet d'une vénération. Il reçoit la Palme d'or à Cannes pour "Sailor et Lula" (1990) ainsi qu'un César du meilleur film étranger pour "Mulholland Drive".
En 1990, il crée "Twin Peaks", série mythique qui révolutionne le genre et transforme en détectives des millions de télespectateurs hantés par les mystères qu'il trousse sur deux saisons. Un quart de siècle plus tard, il reproduit le miracle avec "Twin Peaks: The Return" (2017), un ovni de 18 épisodes qui reprend l'intrigue autour de la disparition de l'agent Dale Cooper.
- Personnages égarés -
Né le 20 janvier 1946 dans le Montana (nord-ouest), il grandit dans une famille presbytérienne (protestante) de cinq enfants. Son père, scientifique au ministère de l'Agriculture et sa mère, professeure d'anglais, déménagent régulièrement au gré des affectations paternelles. David, mauvais à l'école, est un enfant sociable qui ramasse des morceaux de bois putréfiés dans les forêts où son père travaille.
Après des études en dents de scie, il trouve son bonheur aux Beaux-Arts de Pennsylvanie à Philadelphie. La ville, en plein déclin industriel, va imprégner son imaginaire. Il reproduit dans ses toiles l'ambiance "coupe-gorge" de son quartier misérable, peuplé de personnages égarés. Des nains, des clowns, une femme à la bûche: ces films seront tous ponctués par ces folles apparitions.
Avec sa première épouse (il en aura quatre), il se met à la caméra, désireux de "faire une peinture qui bouge". Il monte "L'alphabet", un court-métrage inspiré par un cousin somnambule qui récite l'alphabet en tremblant. Suit "Grand-mère": un garçon solitaire se fabrique une grand-mère à partir d'une graine. "Petit à petit, je suis tombé amoureux de ce médium", écrit-il dans son autobiographie "Mon histoire vraie". "Le cinéma est un langage. Il peut dire de grandes choses abstraites".
Sans le sou, père d'une petite Jennifer, il reste cinq ans à Philadelphie puis déménage à Los Angeles.
En 1973, sa soeur l'initie à la méditation transcendantale. "J'ai eu l'impression d'être dans un ascenseur dont le câble avait été coupé", raconte-t-il après sa première séance. "Boum! Je suis tombé en pleine félicité - un pur bonheur (...) Vous êtes emporté dans un océan de conscience pure". Dès lors, il méditera deux fois vingt minutes par jour.
- Outre-mondes -
Avec "Eraserhead" (1977), son premier long-métrage qu'il finance par des petits boulots sur cinq années, il entre de plein pied dans le malaise surréaliste. Il y raconte l'histoire d'un zombie, d'une jeune fille bizarre et de leur enfant, une créature repoussante agitée par des cris insoutenables, le tout filmé en noir et blanc dans un décor de ruines industrielles. "C'est mon film le plus spirituel", affirme-t-il, toujours avare en explications. Stanley Kubrick en raffole et le qualifie de cinéaste de l'inconscient.
Etonnament, Mel Brooks, le comique américain connu pour ses blagues de pets, produit "Elephant man" en 1980. Cette créature difforme de l'Angleterre victorienne touche le monde entier et fait de Lynch la mascotte de Hollywood. On lui confie la réalisation de "Dune", le célèbre roman de science-fiction de Frank Herbert. Le résultat fait un flop à 40 millions de dollars.
En 1986, il redevient son propre auteur et signe avec "Blue Velvet", l'un de ses plus beaux films. Derrière les façades proprettes d'une petite ville de Caroline, se déroulent des orgies sadomasochistes. Isabella Rossellini en chanteuse de cabaret envoûte et Dennis Hopper, qui ne peut atteindre l'orgasme sans inhaler un gaz euphorisant, terrorise.
Quatre ans plus tard, c'est la consécration à Cannes avec "Sailor et Lula" (1990) puis "Twin Peaks". Avec "Lost Highway" (1997) et "Mulholland Drive" (2001), il poursuit ses virées dans des outre-mondes aux contours inquiétants, faits de souvenirs en décomposition, de pulsions éclatantes et d'humour absurde.
Après l'échec commercial de son dernier film "Inland Empire" (2006), il poursuit sa vie d'artiste comme photographe, graveur, chanteur, publiciste et même décorateur. Interrogé sur la noirceur de ses films, il répondait: "La plupart des films reflètent le monde dans lequel nous vivons. Je m'entiche de certaines idées. (...) Si je vous disais (...) que mes films étaient les oeuvres d'un homme illuminé, alors là, ce serait une autre histoire. Mais je suis juste un gars originaire du Montana, je fais mon truc, je suis mon petit bonhomme de chemin, comme tout le monde".
A.Samuel--CPN