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Mediator en appel: les dirigeants de Servier démentent avoir minimisé les alertes
Au procès en appel du Mediator, la représentante des laboratoires Servier et l'ex-numéro 2 du groupe ont démenti mardi toute volonté de minimiser les risques du médicament et assuré n'avoir pas eu de "sentiment d'alerte" avant son interdiction en 2009.
"Evidemment aujourd'hui, a posteriori, avec tout ce qu'on sait, ça peut paraître étonnant", concède devant la cour d'appel de Paris Isabelle Tupinon-Mathieu, qui représente Servier.
"Mais revenons à l'époque (...) Chez Servier, on n'a pas ce sentiment de risque, d'alerte", assure la rhumatologue de formation, qui met en garde contre les "biais de relecture rétrospective et d'anachronisme".
Le deuxième groupe pharmaceutique français et son ancien directeur général Jean-Philippe Seta sont rejugés depuis le 9 janvier, notamment pour tromperie aggravée et homicides et blessures involontaires.
Le Mediator, commercialisé comme antidiabétique depuis 1976 et indûment prescrit comme coupe-faim, a entraîné de graves effets cardiovasculaires chez des milliers de patients et de nombreux décès.
En première instance, en mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris a estimé que les laboratoires Servier "disposaient à partir de 1995, de suffisamment d'éléments pour prendre conscience des risques mortels" liés au Mediator.
L'agence du médicament (Afssaps, devenue ANSM), reconnue coupable d'avoir trop tardé à agir, n'a elle pas fait appel.
En 1995, une étude conclut que deux coupe-faim de Servier, l'Isoméride et le Pondéral, augmentent le risque d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), maladie rare et très grave.
Pour l'accusation, Servier aurait dû alerter les autorités de la parenté chimique du Mediator avec ces médicaments, interdits en 1997. Une fois ingérés, tous trois entraînent la formation de la même molécule, un dérivé des amphétamines toxique pour les poumons et les valves cardiaques.
- "Alerte forte" -
Les autorités sanitaires avaient "toute l'information" sur la présence de cette molécule, appelée norfenfluramine, maintient Isabelle Tupinon-Mathieu, longtemps directrice de la recherche thérapeutique chez Servier.
De plus, "la structure chimique, en soi, ne prédit pas (...) les potentiels effets délétères", observe-t-elle, en donnant l'exemple de médicaments très proches mais qui ne provoquent pas les mêmes effets secondaires.
Enfin, "à l'époque on n'a rien qui pointe vers la norfenfluramine comme responsable des valvulopathies et des HTAP", affirme-t-elle, interrogée sur un rapport interne à l'Afssaps de mars 1999 qui évoque une inquiétude liée à cette molécule.
En octobre 1999, un rapport italien conclut à "des suspicions que les patients traités au benfluorex (le nom scientifique du Mediator, ndlr) sont exposés à un niveau potentiellement toxique de norfenfluramine".
Et en décembre 2000 une étude scientifique démontre le mécanisme de toxicité de la norfenfluramine dans l'apparition des valvulopathies.
"C'est pas une certitude, c'est un peu plus compliqué que ça", avance Isabelle Tupinon-Mathieu.
Mais dès 1996, l'autorité sanitaire suisse a réclamé des données récentes à Servier, estimant qu'au vu de "la structure très semblable" de Mediator et Pondéral et tant que le risque d'effets indésirables n'est pas exclu, elle "doit considérer que ce risque existe".
"Ca constitue une alerte forte qui aurait dû conduire à plus d'investigations", juge l'avocat général.
Après deux premiers cas d'HTAP et de valvulopathie déclarés en 1999, il n'y aura "plus de signalement de cas jusqu'en 2003", argumente Isabelle Tupinon-Mathieu.
"On ne peut pas dire qu'on ne s'est pas préoccupé de la sécurité, c'est faux", se défend-elle.
Tant Servier que l'Afssaps ont "peut-être" sous-estimé "la signification réelle de ces cas, qui apparaissaient comme sporadiques, isolés", reconnaît Jean-Philippe Seta, 69 ans.
Quand Servier lance finalement un essai clinique sur le Mediator en 2005, "nous avons encore une très grande confiance tant dans l’efficacité que dans la sécurité d’emploi de ce médicament", assure l'ex-dirigeant.
"Je sais que ça peut apparaître un peu fou avec les yeux de 2023, mais à l’époque c’est la vérité".
L'étude montrera en 2009 que les patients traités au Mediator ont beaucoup plus de risque de développer une fuite de valve cardiaque que ceux ayant pris un autre antidiabétique.
Malgré ces résultats, Servier proposera simplement à l'Afssaps de mentionner le risque dans la notice du médicament. L'agence tranchera pour une interdiction.
Y.Ibrahim--CPN