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Près du front en Ukraine, un magasin devenu bouée de sauvetage pour les locaux
Avec ses murs roses, le magasin propose un peu de tout, du fromage aux cigarettes en passant par le shampoing. L'un des rares établissements encore ouverts à Tchassiv Iar, près de la ligne de front en Ukraine, il est une bouée de sauvetage pour les locaux.
Tchassiv Iar se trouve à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Bakhmout, l'épicentre des combats entre forces ukrainiennes et russes dans l'est du pays. La ville, lourdement bombardée, pourrait être la prochaine à tomber si Bakhmout venait à être pris par Moscou.
A l'intérieur, la vendeuse Lilia, 49 ans, sert un flot de clients malgré les bruits de tirs venant des deux côtés du front. A Tchassiv Iar, les habitants n'ont ni eau courante, ni gaz, ni électricité.
Ils reçoivent des denrées alimentaires de base et des bouteilles d'eau au titre de l'aide humanitaire, mais "le produit le plus populaire est l'eau", souligne Artem, le gérant du magasin.
La plupart des clients sont des personnes âgées, emmitouflées dans d'épais manteaux par jour de neige, et qui font des achats parcimonieux.
"Avez-vous des barres de fromage blanc à 10 hryvnia (25 centimes d'euro)? Combien coûtent les bonbons au chocolat Romachka (camomille en ukrainien)? Combien coûtent les moins chers?" demande une femme âgée portant un foulard et un lourd manteau.
"L'épicerie de notre village a été détruite par les bombardements, alors je suis obligé de venir ici", explique un homme.
"C'est la dernière épicerie de Tchassiv Iar. Je viens de loin, de la zone du Canal", dit une femme, en faisant référence à une partie de la ville massivement bombardée.
Le gérant du magasin, Artem, estime qu'il ne reste pas plus de 500 habitants dans la ville, pour la plupart des personnes âgées qui n'ont pas de famille ailleurs.
Il aide les clients qui n'ont pas d'argent liquide en amenant leur carte bancaire et leur code confidentiel dans une ville voisine dotée d'un distributeur automatique de billets pour en retirer.
Il se rend également dans une pharmacie pour acheter leurs médicaments, sans leur faire payer le temps qu'il passe à le faire.
"Ceux qui profitent de la guerre ne sont pas des gens très bien", dit-il.
- "La guerre déchire tout" -
"Les gens doivent s'entraider. Avant la guerre, nous ne nous parlions peut-être pas. Depuis le début de la guerre, nous sommes tous plus amicaux", ajoute le gérant.
Lilia est d'accord: "Nous aidons nos concitoyens et nous nous sourions. Ils nous remercient et c'est très agréable de l'entendre".
Artem estime que 70% de ses clients sont des soldats ukrainiens, qui viennent avec des armes sur le dos.
L'un d'eux pose une lourde boîte de munitions pendant qu'il fait ses courses.
"J'achète ici des tartes, de l'eau, des saucisses et des briquets", explique un autre soldat qui fume dehors avec un bonnet de laine sur la tête, se plaignant que les boîtes de briquets sont trop chères, à 90 hryvnias (2,25 euros).
Certains soldats sortent pour payer en ligne en utilisant l'internet de l'armée. Ils montrent alors un message de confirmation.
Artem frappe sur le comptoir en parlant de sa haine de la guerre, qui a détruit son appartement en ville. "Vous êtes né ici, vous avez étudié ici, vous avez rencontré votre amour ici, et la guerre vous prend et déchire tout", dit-il.
Cet homme de 30 ans, vêtu d'un sweat à capuche et d'un pantalon de survêtement, s'occupe de la boutique appartenant à sa tante, qui a quitté la ville. Il passe la nuit dans une autre cité et s'en va dès que le magasin ferme à 15 heures.
"C'est effrayant. Il y a eu plusieurs frappes devant le magasin", explique Artem.
Cheveux soignés, rouge à lèvres rose et boucles d'oreilles, la caissière Lilia, elle, vit à proximité: "Tout d'abord, je n'ai pas d'argent (pour partir). Et puis, la maison, c'est la maison".
Artem et son assistant Oleksiï apportent un plateau de pommes de terre frites, vendues 20 hryvnia (0,50 centimes d'euro), qu'ils ont récupérées dans un village voisin.
Le fournisseur a refusé de venir jusqu'à Tchassiv Iar et Artiom a dû arrêter sa voiture en chemin à cause des tirs d'obus.
De nombreux livreurs "ont peur de venir ici", explique-t-il, après que plusieurs de leurs véhicules ont été endommagés.
"Tout le monde ne veut pas perdre sa vie en quelques minutes", lance-t-il.
A.Levy--CPN