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Pêche: après le Brexit, des bateaux à la casse et des remous
Dans le port de Bordeaux, des ouvriers retirent la laine de verre et découpent le mobilier en bois d'un chalutier, première phase de son démantèlement dans le cadre d'un plan d'aide post-Brexit que critiquent certains pêcheurs.
Sur les 94 navires - 3% de la flotte française - retenus dans le dispositif par le secrétariat d'État chargé de la Mer, 16 ont rejoint ces dernières semaines les Bassins à flot du Grand Port Maritime de Bordeaux. Dont six des 22 bateaux de la Scapêche, filiale d'Intermarché et premier armateur français.
Le "plan d'accompagnement individuel" (PAI) permet à des armateurs touchés par les conséquences du Brexit sur l'activité de pêche, de sortir un navire de leur flotte moyennant indemnisation. Ils doivent à cette fin justifier, avant début juillet, de son "innavigabilité".
Pour cela, les bateaux sont sevrés de leurs moyens de propulsion "en enlevant le moteur ou en coupant la ligne d'arbre", détaille Laurent Giuliato, de la société Paprec Métal Déconstruction qui mène le chantier bordelais. La ferraille sera ensuite découpée pour l'industrie métallurgique.
Après le Brexit, la France a obtenu 1.054 licences permettant à leurs titulaires de continuer à pêcher dans les eaux britanniques.
Ceux restés sur le carreau ou dont l'activité a été fragilisée ont pu faire appel au dispositif d'aide s'ils répondaient à l'un des critères suivants: ne plus avoir accès aux eaux britanniques, dépendre à 20% au moins de celles-ci dans son activité ou, à pareille proportion, de certains stocks de poissons.
- Critères -
Éligible au troisième critère grâce à une pêche importante de lotte, Éric Redon a pu mettre son chalutier vieillissant à la casse.
Ne naviguant pas dans les eaux britanniques, le marin de l'île d'Oléron s'estime néanmoins victime du Brexit car "ceux qui n'ont plus le droit d'y aller vont venir pêcher" dans le golfe de Gascogne.
Pour ce pêcheur de 58 ans, dont le bateau était à vendre depuis un an, le plan est arrivé "à point nommé" entre hausse du prix du gasoil, restrictions de pêche et manque de personnel.
Six cents kilomètres plus au nord, à Boulogne-sur-Mer, Loïc Fontaine fait partie des déçus. Ce pêcheur de bulots qui réalisait 70% de ses prises dans les eaux anglaises a perdu sa licence. Pourtant, son bateau n'a pas été retenu parmi ceux qui vont se partager, en fonction de leur jauge, l'enveloppe de 65 millions d'euros financée par la Commission européenne.
"Mon dossier était le plus solide des Hauts-de-France, je remplissais tous les critères. Ils se sont carrément plantés", assène-t-il. "Il ne peut qu'être en colère", renchérit Olivier Leprêtre, président du comité des pêches dans cette région où huit bateaux seulement ont été retenus parmi 18 candidats.
Et de déplorer que "par l'opération du Saint-Esprit", les plus touchés ne soient pas forcément les bénéficiaires: "Quand on sort de Boulogne, trente minutes après on est dans les eaux britanniques. Dans le Brexit, les plus touchés ce sont les Hauts-de-France (...) en Nouvelle-Aquitaine, j'ai de gros doutes".
Ne pêchant pas dans les eaux britanniques, les Aquitains sont éligibles sur le critère des stocks, défini "en concertation avec les représentants des professions", explique le secrétariat d'État.
"Ce critère n'a aucun sens", estime Olivier Leprêtre. Il bénéficie à des armements "pas directement impactés", abonde le président du comité des pêches de Nouvelle-Aquitaine, Johnny Wahl.
- "Aucun sens" -
Il regrette, par ailleurs, qu'une partie de l'enveloppe revienne à de gros acteurs comme la Scapêche, dont un septième navire est déconstruit à Brest.
"À la place des gros bateaux, on aurait pu en sortir plein de petits", déplore cet Oléronais, pour qui le PAI permet à certains de moderniser leur flotte à moindre frais.
Selon le gouvernement, le caractère individuel du plan "repose sur la recherche de solution à chaque navire" sans tenir compte de la taille de l'armement, afin de traiter "uniquement les effets du Brexit" qui "a touché tout le monde".
Et "la Scapêche est certainement l'armement français le plus affecté", rétorque l'armateur, évoquant "une baisse de 25% des quotas de pêche en valeur et des surcoûts administratifs et logistiques pour le rapatriement de ses captures".
"La capacité des navires détruits sera définitivement perdue", souligne la filiale des Mousquetaires, qui avait annoncé, à l'automne 2021, une refonte prochaine de sa flotte - projet maintenu mais contraint par le contexte économique et géopolitique, dit-elle.
Pour Loïc Fontaine en revanche, c'est la double peine : le Boulonnais de 47 ans, qui avait investi dans un bateau plus petit avec l'assurance de répondre aux critères, se retrouve retoqué, avec deux navires sur les bras et un emprunt à rembourser. Seule solution: vendre l'ancien à perte, "sinon il faudra travailler deux fois plus".
A.Zimmermann--CPN